Bengs Lab

Quand l’économie de partage s’invite dans l’entreprise

1 Repenser la valorisation des actifs

Vous avez dit « actif latent » ?

VALORISER QUOI ?

LA VALORISATION DES ACTIFS A VALEUR LATENTE POSE UNE PREMIERE QUESTION : QUEL EST LE PERIMETRE DES ACTIFS A VALORISER ?

Le plan comptable définit un actif comme « un élément identifiable du patrimoine d’une entité ou agent économique (ménage, entreprise…) ayant une valeur économique positive, c’est-à-dire générant une ressource que l’entité contrôle du fait d’événements passés et dont cette entité attend un avantage économique futur » (Art.211.1 du Plan Comptable Général).

Entrent donc dans cette définition les actifs non courants (immobilisations incorporelles, corporelles et financières) et les actifs courants (les stocks, les créances et la trésorerie).

Cette définition ne doit toutefois pas limiter les réflexions et les démarches sur la valorisation des actifs de l’entreprise.

En effet, restreindre le panorama des actifs à une vision comptable exclut l’ensemble des capacités de l’entreprise ne faisant pas partie de son patrimoine.

Par exemple, le département d’une entreprise qui dispose d’une flotte de véhicules en leasing pourrait imaginer de les mettre à disposition des autres départements lorsqu’il ne s’en sert pas.

Pourtant, ces actifs à valeur latente (lorsqu’ils ne sont pas utilisés et que les voitures sont stationnées, dans notre exemple) ne sont pas définis d’un point de vue comptable comme des actifs.

Se limiter à la définition comptable ferait sortir du panorama de plus en plus d’actifs, dans un contexte d’évolution de la possession vers une consommation à l’usage.

Entre 3 et 10% des actifs des entreprises sont non utilisés. Le développement des échanges interentreprises permettrait aux entreprises de dégager 3 à 5% de croissance supplémentaire.

 

LA VALORISATION DES MATERIELS DE LABORATOIRES PAR SANOFI

En 2010, Sanofi constate un problème. L’utilisation de son matériel n’est pas optimisée. Les coûts d’achat des machines sont faramineux, et leur utilisation est parfois très limitée. Comme dans l’exemple de la perceuse (utilisée 12 minutes pendant sa durée de vie), le couple possession / utilisation apparaît souvent déséquilibré.

Le groupe pharmaceutique décide alors de lancer un projet qui pourrait bien constituer les prémices de la révolution Possession vs. Usage. La direction lance une initiative pour que toutes les communautés de Sanofi puissent avoir la possibilité de partager leur matériel (fabrication, pharmaceutique, emballage, préparation, etc.) non utilisé.

Une plateforme est créée sur l’intranet du groupe qui a pour vocation de permettre aux différents collaborateurs du groupe de signaler le matériel qui n’est pas utilisé, et de le mettre à la disposition d’une autre branche ou filiale qui en aurait besoin. Ainsi le matériel ne se déprécie pas, inutilisé, au fond d’un entrepôt. Et le groupe n’a pas à racheter une machine quand il a déjà fait cet investissement quelque part dans le monde et qu’il n’est pas exploité à hauteur de son potentiel là où il est.

Cette opération se révèle être un succès. Fin 2012, 89 sites se sont impliqués dans ces initiatives, et 300 types d’équipement ont été consignés dans la base de données.

Non seulement cette initiative permet de réduire les sorties de trésorerie, mais elle permet aussi de recycler du matériel, d’en allonger la période de vie – notamment par un usage plus régulier et un entretien plus suivi – et surtout d’en allonger la période d’utilisation. Les besoins de stockage sont significativement réduits et la consommation de ressources naturelles, la production de déchets inutiles sont diminuées.

 

QUELS ACTIFS ? POUR QUELS USAGES ?

L’identification des actifs de l’entreprise doit dépasser les seuls actifs matériels, tangibles et rapidement identifiables.

Au-delà des locaux et des véhicules, souvent cités, la démarche de valorisation des actifs latents doit s’attarder sur l’ensemble des actifs présents dans l’entreprise.

Deux approches sont envisageables : qu’est-ce qui contribue à la construction de mon avantage compétitif ?

Qu’est-ce qui pourrait intéresser mes partenaires, mes fournisseurs, mes clients, mes collaborateurs, selon quel usage ?

 

EXEMPLES DE CAS CONCRETS DANS LES ENTREPRISES DES MEMBRES DU LAB

Les principes de l’économie de partage étant posés, les potentialités étant identifiées, la question de la mise en application concrète se pose. Les membres du Lab ont donc travaillé sur un ensemble d’actifs latents concrets en se projetant dans leur contexte professionnel, afin d’identifier les contraintes et les freins à leur valorisation.

Les actifs retenus pour ces investigations ont été choisis pour leur représentativité des différents types d’actifs (matériels, immatériels et digitaux) et pour permettre d’explorer un large champ de contraintes.

La multiplicité des points de vue lors des ateliers de travail a permis de recenser de nombreux freins, qui peuvent être regroupés en six catégories :

  • Culturels
  • Organisationnels
  • Opérationnels
  • Techniques
  • Légaux
  • Fiscaux

 

PARTAGE DU PARC AUTOMOBILE

  • Lutter contre la culture de la propriété
  • Modifier les mentalités sur l’aspect statutaire des véhicules
  • Choisir le type de partage : salariés / entreprise ou entreprise / entreprise
  • Traiter les aspects fiscaux : avantage en nature ou non ?
  • Adapter l’assurance pour les véhicules, l’usage qui en est fait et les personnes transportées
  • Disposer des moyens de gérer la disponibilité, la mise à disposition et la récupération des véhicules (ETP en gestion, géographie, places, services de nettoyage…)
  • Maitriser la compatibilité des véhicules par rapport aux usages

 

VENTE OU PARTAGE DES INFORMATIONS SUR LE RESEAU FOURNISSEURS

  • Sortir du seul principe que « l’information c’est le pouvoir »
  • Qualifier le caractère sensible des informations
  • Qualifier, décrire des informations
  • Estimer le niveau réel de propriété des informations, dont certaines sont accompagnées d’une licence d’utilisation contraignante

 

VALORISATION DES TOITS D’IMMEUBLES

  • Analyser l’architecture et les structures (faisabilité technique)
  • Prendre en compte les aspects règlementaires (copropriété, urbanisme, sécurité, mise aux normes ERP etc.)
  • Mesurer l’investissement et la rentabilité
  • Choisir entre la propriété et la location
  • Prendre en compte les contraintes liées au classement des immeubles

 

PARTAGE DES COMPETENCES

  • Respecter le droit du travail
  • Assurer la confidentialité (partage des savoirs standards)
  • Obtenir une bonne cartographie des compétences / expertises en interne
  • Valoriser le prêt dans la carrière du collaborateur
  • Préserver les ressources critiques

 

PARTAGE DES POINTS DE VENTE

  • S’assurer de la compatibilité des baux commerciaux
  • S’assurer de la compatibilité des activités et des images de marque (saisonnalité, métier, etc.)
  • Adapter les lieux / espaces à la pratique de plusieurs activités en parallèle ou consécutivement
  • Piloter les compétences du personnel dans le cadre d’activités communes (formation, standing)

 

LE REGARD DE L’EXPERT : LES CONTRAINTES JURIDIQUES

La valorisation des actifs latents d’une entreprise peut se heurter à certaines contraintes juridiques liées à leur nature et au régime de protection juridique auquel ils se rattachent.

En voici brièvement quelques illustrations :

 

LA PROTECTION DES DONNEES

La valorisation ou la cession éventuelle, d’informations commerciales, financières ou encore administratives d’une société devra respecter leur éventuelle confidentialité et leur protection au titre du droit de la propriété intellectuelle. Les contraintes reposant sur ces informations peuvent résulter d’une obligation légale (données personnelles par exemple, droit d’auteur), contractuelle (accord de confidentialité) et le non respect de ces obligations peut être sanctionné civilement ou pénalement.

 

LES CONTRAINTES JURIDIQUES LIEES AU CHANGEMENT DE DESTINATION DES ACTIFS

Les entreprises peuvent valoriser leurs locaux en leur trouvant une destination autre que celle à laquelle ils sont habituellement affectés (salles de réunion, parkings, terrasses, …). Dans ce cas, elles devront s’assurer que l’activité choisie est conforme à la destination du bail et qu’elle ne requiert pas d’autorisation spécifique du bailleur, ni d’une assurance spéciale ou une autorisation spéciale liée à la nature de l’activité exercée (accueil du public, accessibilité, sécurité, …).

 

DES CONTRAINTES LIEES AU DROIT DU TRAVAIL

Si une entreprise souhaite réaffecter certains de ses salariés à d’autres entreprises en période de sous-activité, elle devra être vigilante à ne pas tomber sous le coup de l’interdiction du prêt de main d’œuvre illicite et du délit de marchandage défini par le Code du travail.

Si des salariés sont affectés à une activité de valorisation des actifs latents, l’employeur devra s’assurer que la nature de leurs activités est bien conforme à leur contrat de travail.

 

DES CONTRAINTES LIEES A L’ACTIVITE EXERCEE

L’entreprise devra également s’assurer que l’activité exercée n’est pas règlementée. Ainsi, une entreprise souhaitant partager son parc automobile devra vérifier qu’elle n’enfreint pas la règlementation relative au transport routier de personnes.

 

DES RISQUES RELATIFS AU DROIT DE LA CONCURRENCE

Le droit de la concurrence tend à réguler le marché en imposant aux entreprises de se comporter de façon loyale et juste envers leurs concurrents. Il sanctionne des comportements d’entente qui peuvent être dangereux pour le bon fonctionnement du marché.

En pratique, les échanges d’informations entre professionnels d’un même secteur peuvent servir de support à une atténuation du jeu concurrentiel en entraînant un risque de collusion. Ainsi, des informations sur les stratégies commerciales qu’entendent suivre des concurrents peuvent permettre une coordination tacite des comportements autour d’un équilibre collusif répréhensible en tant que tel.

 

LE RESPECT DE L’OBJET SOCIAL DE L’ENTREPRISE

L’objet social se définit comme le type d’activité qu’une entreprise se propose d’exercer pour obtenir les résultats escomptés : fabrication et vente de tel ou tel produit, négoce, prestations de services, etc …  L’entreprise devra s’assurer que l’activité envisagée, même si elle est accessoire, entrera bien dans son objet social, sous peine de voir la responsabilité de ses dirigeants engagée. Si tel n’est pas le cas, l’objet social devra être modifié en conséquence.

 

QUELLE MOTIVATION ?

Qu’il s’agisse d’une valorisation interne à l’entreprise ou d’une valorisation externe, valoriser un actif « latent » peut répondre à plusieurs motivations.

Les différents cas peuvent être résumés selon cinq finalités.

 

1 BAISSER LES COUTS DE POSSESSION

Qu’il s’agisse d’une valorisation interne à l’entreprise ou externe, le levier le plus naturel pour les entreprises reste la mutualisation des coûts et la recherche d’économies. Un service a fait l’acquisition d’une machine neuve, comment faire en sorte qu’un autre service ne dépense une somme identique ? Un département Achats a négocié des contrats très compétitifs avec ses principaux fournisseurs, comment faire profiter les autres départements Achats des conditions négociées sans que ceux-ci n’aient à mobiliser des ressources au cours d’un long processus de négociation ? Les entreprises investissent massivement dans les logiciels pour assurer leur compétitivité. En 2013 le marché du logiciel représentait 407 milliards de dollars. Une belle opportunité pour les entreprises qui souhaitent améliorer leur rentabilité. En effet, des licences de logiciels non-utilisées peuvent être valorisées, leur revente étant légale en Europe depuis le 3 juillet 2012.

 

2 ENTRETENIR, VOIRE AMELIORER L’ACTIF

Une autre motivation peut être d’entretenir des actifs. En effet, certains actifs perdent de leur valeur lorsqu’ils ne sont pas utilisés. C’est le cas par exemple d’une expertise. Les experts sont rarement sollicités à 100% pour leur expertise. En fonction des événements de la vie de l’entreprise ou des cycles de vie des produits et des services, l’actif « expertise » sera plus ou moins employé. Durant les périodes où l’expertise est sous-employée, celle-ci risque de se dévaloriser : l’expert ne pratique plus, il y a un risque qu’il perde son expertise en étant éloigné du marché et de ses évolutions. Dans ce cas, valoriser cette expertise auprès d’autres agents économiques, ou en interne auprès d’autres services, permet d’entretenir l’actif. En outre, le risque d’attrition des experts est limité, ceux-ci pouvant maximiser l’usage de leur expertise et l’entretenir. La durée de vie de certains actifs se trouve ainsi allongée du fait d’une utilisation plus intensive.

 

3 GENERER DU REVENU

Dans le cas d’une valorisation externe, les motivations peuvent également résider dans la génération de nouveaux revenus (avec un nouvel usage ou avec un usage existant).

Par exemple, l’entreprise qui n’utilise ses locaux qu’une partie de la semaine peut générer de nouveaux revenus en les louant.

Autre exemple d’actif permettant de générer du revenu : le logiciel. Une entreprise peut revendre des logiciels développés en interne, du moins ceux qui représentent une valeur d’usage sur le marché. Les exemples de mise sur le marché d’un logiciel, sous forme d’essaimage, sont légion. Certaines entreprises ont même changé de modèle économique en constatant que l’édition de logiciel était plus rentable que leur activité initiale : Synerdeal ou freemarkets dans les achats, Fitnet dans les ERP.

 

4 CREER DE NOUVEAUX LIENS ET INCUBER DE L’INNOVATION

Des motivations liées au rôle que souhaite tenir l’entreprise dans son écosystème justifient souvent la valorisation externe d’actifs. Faire profiter de ses actifs à un fournisseur ou à un partenaire permet à l’entreprise de soutenir les acteurs de son écosystème. Une telle démarche peut s’avérer cruciale dans le cas où la valorisation des actifs s’effectue au profit de fournisseurs critiques, ou dont la survie est menacée.

En impulsant une démarche de valorisation de ses actifs, l’entreprise va imaginer de nouveaux liens à créer au sein de son écosystème. Elle se mettra ainsi en capacité de capter des innovations.

Par exemple : une entreprise met à disposition d’un réseau de start-up ses capacités de recherche (laboratoire, expertises…). L’entreprise sera ainsi aux premières loges lorsqu’une de ces start-up aura fait aboutir ses recherches.

Une telle démarche aura aussi des impacts positifs sur l’image de l’entreprise.

 

5 CREER DE L’IMAGE

Dans d’autres registres, des entreprises ont compris depuis longtemps l’intérêt pour elles de mettre à disposition leur actif pour améliorer leur image.

 

LA DEMARCHE HUMANITAIRE DE SIEMENS

En novembre 2014, Siemens, groupe international d’origine allemande spécialisé dans les hautes technologies en santé, énergie et industrie, a fait parler de lui. A l’origine de cette ébullition, une proposition plutôt unique pour un grand groupe international.

Suite à un déménagement, l’entreprise a contacté la mairie de Munich pour lui proposer de mettre à disposition près de 30 000 m2 de bureaux vides.

Plutôt que de laisser cet actif immobilier vacant, Siemens en propose donc la jouissance à la municipalité afin de lui permettre d’accueillir des réfugiés Syriens et Irakiens. Les locaux étant équipés d’un coin restauration et de sanitaires, ils peuvent servir d’hébergement provisoire pour ces personnes en difficulté.

La démarche humanitaire a non seulement permis à Siemens de faire le buzz dans les médias, mais aussi d’inspirer un mouvement de solidarité.

 

QUELLE VALEUR ?

 

UN ACTIF A AUTANT DE POTENTIELS DE VALEUR QUE D’USAGE

Au-delà de la définition d’un actif, son intérêt réside dans la valeur qui lui est conférée. Le

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (créé par le CNRS) donne deux sens au terme « valeur » :

Qualité intrinsèque d’une chose qui, possédant les caractères idéaux de son type, est objectivement digne d’estime

Caractère mesurable prêté à un objet en fonction de sa capacité à être échangé ou vendu ; prix correspondant à l’estimation faite d’un objet

La seconde définition associe à la valeur un potentiel de commercialisation ou d’échange.

Un actif a autant de potentiels de valeur que d’usages. Ainsi, le cœur de la démarche repose sur l’identification de ce qui est latent, c’est-à-dire sur comment trouver une valeur jusqu’alors inexploitée, et la faire rencontrer son marché.

Il s’agit de comprendre ce qui a de la valeur et qui n’a jamais été exploité en interne à l’entreprise ou par un autre acteur. Ou de définir un nouvel usage ou une finalité différente de ce qui existe déjà en interne ou en externe à l’entreprise.

 

LE MODELE PYRAMIDAL

Quels actifs suis-je prêt à valoriser auprès d’un tiers ? Quelles sont les attentes de ce tiers ?

C’est en modélisant des niveaux d’actifs et des types de relation avec l’entreprise partenaire, que l’ensemble des cibles potentielles peut être identifié.

 

Trois niveaux d’actifs se distinguent :

  • L’actif banalisé : présent dans la majorité des entreprises, ne permettant pas à l’entreprise qui les possède de se différencier (les chaises, la machine à café…)
  • L’actif contributeur à l’avantage concurrentiel (un réseau commercial…)
  • L’actif différenciant : sans lui, l’entreprise perd tout avantage concurrentiel (un brevet, un savoir-faire, une notoriété…)

 

La frontière entre actif « contributeur » et actif « différenciant » est ténue et leur distinction peut exiger une analyse approfondie de la chaîne de valeur de l’entreprise.

 

Cinq logiques relationnelles

En fonction des relations tissées avec son écosystème, l’entreprise cherche à valoriser tout ou partie de ses niveaux d’actifs.

Cet arbitrage s’effectue en regard des objectifs recherchés et de considérations diverses, comme par exemple le contexte concurrentiel.

La représentation ci-contre met en évidence cinq logiques de relations entre les différentes cibles envisageables en fonction des contextes.

En France, Mars Incorporated, groupe agroalimentaire américain s’est associé avec une entreprise concurrente dans le but de valoriser ses actifs latents. Les deux entreprises ont décidé de partager leur flotte de camions pour le transport de marchandises et ont ainsi réduit de plus de 800 leurs trajets routiers annuels. Cette coopération a eu un effet double, d’une part celui de limiter les coûts de transport et d’autre part celui de réduire l’émission de CO2 de près de 300 tonnes par an. 

 

La cible est une entreprise de taille équivalente avec un modèle de découpage des actifs banalisés, contributeurs et différenciants suivant une logique similaire.

La démarche de valorisation des actifs doit prendre en compte des problématiques liées à la concurrence (l’entreprise qui aura accès à mon actif a des capacités similaires aux miennes pour adresser un marché), particulièrement si l’entreprise est positionnée sur le même marché que mon entreprise. L’intérêt d’une valorisation des actifs réside dans la mise en commun et le partage des actifs banalisés via une communauté.

Risque : concurrence, législation (entente)

Gain : réduction de coûts par une mise en commun d’actifs banalisés voire contributeurs

Quelques exceptions peuvent justifier la valorisation d’actifs différenciants : Dans un souci d’entretien des expertises, la valorisation de cet actif permet l’échange de savoir-faire et un maintien à niveau des experts. Lorsque l’enjeu dépasse le seul intérêt de l’entreprise et relève de l’intérêt général, pour la filière ou à un niveau international, une entreprise peut être amenée à valoriser des actifs stratégiques en les mettant à disposition de la communauté, voire de leurs concurrents. Par exemple, des experts du nucléaire peuvent être amenés à auditer les centrales d’autres pays lorsque celles-ci présentent un niveau de risque trop important au regard de la sécurité de la communauté internationale.

Par exemple, un groupe bancaire qui dispose de locaux dans des emplacements stratégiques considère ses actifs « locaux » comme contributeurs, voire de plus en plus banalisés du fait d’une modification de la nature des interactions avec ses clients – centres d’appels, services digitaux en ligne. Le fait de disposer d’agences particulièrement bien placées n’est plus différenciant. Par contre, ces locaux bien situés peuvent constituer un avantage compétitif pour d’autres entreprises nécessitant une présence en centre-ville.

 

 

La cible est une entreprise de taille équivalente, pour laquelle mes actifs banalisés constituent ses actifs différenciants. Dans ce cas, la valeur réside dans les usages que pourra faire l’entreprise bénéficiaire, les usages faits par l’entreprise détentrice de l’actif étant moindres.

Risque : limité

Gain : synergies

Une des caractéristiques des start-up est de disposer d’un nombre limité d’actifs, mais très différenciants. Ils leur permettent de conquérir rapidement leurs marchés, sans disposer d’actifs banalisés ou contributeurs. Les start-up peuvent par exemple disposer d’un brevet prometteur, d’une plateforme applicative innovante, sans avoir de locaux fixes. C’est notamment le cas de Blablacar qui était sans bureau et sans employé avant 2009, sans fonds d’investissement avant 2010. Les fondateurs ont misé sur leur actif différenciant, la plateforme de covoiturage. La start-up est par la suite devenue une entreprise de 270 employés valorisée à plus d’un milliard de dollars et comptant plus de 20 millions de membres dans 19 pays. De même, Facebook, Deezer, AirBnB, Amazon, ne possédaient comme actif que leur place de marché, avant de devenir les entreprises à succès que nous connaissons aujourd’hui. Dans une logique de pyramide étendue, la start-up peut bénéficier d’actifs banalisés et contributeurs provenant d’autres entreprises, lesquels lui permettront de réaliser sa croissance. L’entreprise qui met à disposition ses actifs peut alors garder un oeil sur le développement de l’actif différenciant et ainsi être en capacité de détecter de nouvelles opportunités pour sa propre activité.

 

La cible est un réseau d’entreprises.

Une entreprise peut valoriser ses actifs en les mettant à disposition d’un réseau de petites entreprises ou de start-up. En retour, elle bénéficie de la création d’actifs par le réseau, apporte son soutien aux acteurs de l’écosystème et bénéficie d’un accès privilégié à l’innovation. Airbus, par exemple, supporte le développement de services innovants dans le secteur aéronautique en ouvrant son BizLab, accélérateur de start-up.

Risque : limité. Tout réside dans les règles de gouvernance mises en place avec les membres de l’écosystème afin de s’assurer que le jeu de la collaboration est respecté.

Gain pour le grand groupe : capter de l’innovation, soutenir un partenaire stratégique, contribuer à la politique RSE…

Gain pour l’entreprise bénéficiant de l’actif : bénéficier de la force de frappe et de l’expérience d’un grand groupe

Le « Barter » selon le Pôle Interministériel de Prospective et d’Anticipation des Mutations Economiques (PIPAME).
L’échange interentreprises, autre appellation du troc (ou « barter » en anglais), est l’opération économique par laquelle une entreprise cède la propriété d’un bien, d’un groupe de biens ou rend un service à une autre entreprise et reçoit en retour un autre bien ou un service. Cet échange ne passe pas par une transaction monétaire en numéraire mais peut, dans certains cas, être néanmoins valorisé via une unité de compte spécifique au réseau d’échanges (ici dénommée unité de compteréseau ou UCR), qui facilite la multiplicité et la diversité des échanges. Ces échanges peuvent s’organiser de gré à gré, entre des entreprises qui se connaissent au sein d’un même secteur, d’une même zone géographique, d’une filière, ou qui entretiennent déjà des relations commerciales traditionnelles entre elles.

Le co-working
Partage des coûts liés aux frais mobiliers et partage des connaissances (exemples : incubateurs de start-up – clients bêta-testeurs, expertise de développeurs). Aujourd’hui, nous dénombrons quelques 5.000 espaces de co-working dans le monde, regroupant une communauté de près de cinq millions d’utilisateurs. La croissance est exponentielle : 90 % en moyenne pour les 3 dernières années. Le cofondateur de Deskup estimait, dans une interview à Frenchweb en 2013 que « 6 millions de mètres carrés de bureaux ne sont pas occupés, rien qu’en Île-de-France ».

 

Plusieurs entreprises de taille comparable mettent en commun leurs actifs, dans une logique de mutualisation.

Il s’agit souvent de start-up en réseau qui utilisent leurs actifs comme monnaie d’échange. A titre d’exemple, le réseau communautaire B2B EN-TRADE propose aux PME une bourse aux échanges permettant de troquer des services et des produits. Dans le cas de grands groupes qui valorisent leurs actifs dans une logique de réseau, le mécanisme s’apparente à celui d’un groupement d’intérêt économique.

Risque : limité, à condition que chaque entreprise respecte les principes établis pour le fonctionnement du réseau

Gain : mutualisation des coûts, et création d’une communauté de travail (favorable à l’émergence d’innovation, accélérateur de croissance….)

 

L’entreprise décide de mettre à disposition ses actifs, dans une logique « open source ».

Cette décision peut être justifiée par le fait que seule, l’entreprise ne sera pas assez puissante pour transformer son actif à valeur latente (ses brevets par exemple). Quand Michelin ouvre son portefeuille de brevets sur les communications sans contact RFID à ses concurrents, cette démarche manifestement « contre-nature » remet en cause le partage du cœur de compétences et des savoir-faire à l’origine de l’avantage compétitif de l’entreprise. Et pourtant, en simplifiant l’accès au marché, son produit devient progressivement le standard de fait, lui faisant prendre une longueur d’avance. En effet, elle favorise la création d’une norme mondiale unique autour de cette innovation, dont elle est l’auteur. Plus commun encore dans l’industrie automobile, les brevets en libre-service seraient-ils une nouvelle stratégie pour imposer

un avantage compétitif ? Après Tesla, c’est au tour de Toyota d’ouvrir plus de 5,600 brevets relatifs à la technologie de la pile à combustible à hydrogène. En cette période de transition technologique vers des énergies alternatives propres, le succès dépendra de la capacité des acteurs (constructeurs, Etats, industriels de l’énergie, etc.) à unir leurs efforts et à développer de nouvelles formes de collaboration. Demain, cette stratégie de « brevets en libre-service » s’imposera-t-elle aux acteurs de l’ « Internet of Things » ? La normalisation autour d’un standard unique simplifiant la communication entre les objets connectés est déjà anticipée. Risque : perdre un avantage compétitif en se faisant déposséder de son actif sans parvenir à tirer parti de son développement par les autres entreprises.

Gain : accroître les capacités à développer l’actif et son potentiel commercial, développer de nouvelles collaborations.

En Juin 2014, Elon Musk, dirigeant de Tesla Motors, fait une annonce des plus surprenantes. Il déclare via une lettre ouverte publiée sur le site de Tesla intitulée « All our patents belong to you » (Tous nos brevets vous appartiennent), que la société fait passer tous ses brevets dans le domaine public. Par cette démarche, Tesla invite les acteurs de l’industrie automobile positionnés sur le secteur de la voiture électrique à s’appuyer sur les technologies Tesla et à former une grande communauté. Les brevets deviennent accessibles à des acteurs innovants, comme ceux du mouvement de DIY américain (Local Motors, Wikispeed, etc.) qui s’appuient sur les technologies Tesla pour construire leurs produits, et les faire évoluer en innovant eux-mêmes à partir de ces dernières. Tesla a ainsi induit un mouvement d’accélération des cycles d’innovation. De même, les constructeurs automobiles qui s’appuient sur les technologies de Tesla pour créer leurs propres modèles de véhicules électriques auront une plus forte propension à acheter des composants et batteries Tesla pour équiper leurs modèles, soutenant les ventes de produits complémentaires commercialisés par Tesla, et réduisant le coût unitaire de ces éléments par un effet de volume. En plus de gagner en agilité, la démarche permet aussi de faire croître plus rapidement le parc automobile électrique mondial. Plus il y aura de véhicules électriques en circulation, plus le besoin en bornes pour les recharger augmentera – produites par Tesla. De même, plus il y aura de stations de recharge et plus les voitures Tesla paraîtront attractives pour les acheteurs potentiels.

 

« Le leadership en matière de technologie n’est pas défini par des brevets, à propos desquels l’histoire a montré qu’ils offraient peu de protection face à un concurrent déterminé, mais plutôt par la capacité d’une entreprise à attirer et à motiver les meilleurs ingénieurs. Nous pensons qu’appliquer la philosophie de l’Open Source à nos brevets va renforcer plutôt que diminuer la position de Tesla de ce point de vue. »

Elon Musk, fondateur dirigeant de la société SpaceX et dirigeant de la société Tesla Motors

 

TOUT VALORISER

La démarche de valorisation des actifs latents conduit à repenser et à renforcer le rôle de l’entreprise dans son écosystème.

Réfléchir à ce qui est valorisable requiert de penser usage, et de comprendre les attentes et les ambitions des acteurs de l’écosystème. Ainsi, en fonction des logiques de valorisation, de nouveaux liens sont créés : l’entreprise identifie de nouveaux partenaires, fournisseurs, clients… En créant de nouvelles passerelles avec son écosystème, l’entreprise se met en capacité de capter des innovations et d’identifier de nouvelles perspectives. Force est de constater que c’est en acceptant de partager le « différenciant », les actifs

« stratégiques », que la démarche est la plus fructueuse. C’est pour beaucoup une question d’évolution des mentalités. Qui aurait imaginé il y a quelques années partager sa voiture ou donner accès à la chambre des enfants ? Pourtant, Blablacar a dépassé les 10 millions de membres et Trocmaison.com propose plus de 65 000 maisons ou appartements à travers le monde. Si l’économie de partage a envahi la sphère privée, le fait qu’elle pousse les portes de l’entreprise n’est qu’une question de temps. Il s’agit de revoir la manière de considérer les actifs, y compris les plus stratégiques.