Bengs Lab

Les business models de l’hyper personnalisation

1 L’hyper personnalisation une tendance naturelle qui a trouvé ses limites ?

Six forces pour repenser les business models traditionnels

Quelles sont les limites posées par les cadres d’analyse classiques de la croissance ? Comment les dépasser ? Quelles nouvelles forces viennent bouleverser les business models traditionnels ?

 

Face au défi de parvenir à réaliser des produits industriels hyper personnalisés par une adaptation profonde des moyens de production, il est légitime de se poser la question de la pérennité de ce type d’attentes.

Partant du postulat que l’innovation naît des contraintes d’environnement, Bengs a conçu une grille de lecture des forces qui transforment les règles du jeu économique et amènent à rompre avec les modèles stratégiques classiques. 

Elle repose sur trois principes :

  • Le paradigme de la croissance économique infinie est révolu ou le sera dans quelques années
  • Les règles de marché (rôle des clients, fournisseurs, partenaires, communautés de prescripteurs, collaborateurs de la firme…) modifient profondément l’analyse concurrentielle consistant traditionnellement à créer des barrières à l’entrée à l’ensemble des acteurs
  • La montée du digital et des technologies de l’information dans tous les secteurs économiques inspire des business models qui seront de plus en plus fondés sur la multitude (les effets de réseaux du modèle biface) et sur l’hyper personnalisation

L’analyse porterienne traditionnelle doit être adaptée à ces nouvelles règles de marché et d’échanges. La concurrence n’est pas là où l’on croit qu’elle se trouve. Il faut non seulement investiguer les non-clients (Océan bleu) mais aussi les non-concurrents. Ces six forces transforment les frontières de l’entreprise, influent sur les comportements, déforment les territoires historiques de responsabilités, modifient la zone d’interaction entre l’intérieur et l’extérieur de l’entreprise et proposent de nouvelles opportunités de croissance.

Six forces© qui bouleversent les business models traditionnels.

 

DE LA CONSOMMATION D’UN PRODUIT OU D’UN SERVICE A LA CONSOMMATION D’UNE EXPERIENCE

Le consommateur d’aujourd’hui, ultra connecté, s’oriente naturellement vers l’offreur qui lui propose une expérience personnalisée, spontanée, multi-canal. C’est notre désir ancestral de différenciation qui nous pousse vers cette expérience valorisante au cours de laquelle nous avons l’illusion d’être unique.

L’étude « Commerce Connecté » conduite récemment par DigitasLBi et l’IFOP, montre qu’en France plus de la moitié des consommateurs souhaitent que l’exercice de la consommation soit en phase avec ce qu’ils vivent à titre personnel ou professionnel.

Parmi la profusion des écrans, le mobile modifie en profondeur les usages des consommateurs en devenant un véritable assistant personnel dans le parcours d’achat du consommateur à tout moment de la journée, que ce soit dans un contexte personnel ou professionnel.

Les frontières entre les sites marchands et les commerces physiques s’estompent au profit d’un commerce « connecté » combinant des interfaces physiques et virtuelles.

Soucieux de la préservation de son intimité, le consommateur est méfiant et difficile à séduire. Le message de l’offreur qui s’adresse à lui est omni-canal, mais il doit être pertinent en s’adaptant au contexte, à l’instant présent, et doit être non intrusif et discret. Les techniques de marketing et de communication évoluent dans ce sens. Elles sont interactives, communautaires et virales. Elles se distinguent davantage sur l’apport de contenus plus que sur la forme. Elles visent à développer une relation de confiance avec le consommateur, à engager une conversation, apporter un conseil personnalisé.

« Le do it yourself, la démocratisation de la technologie poussent le consommateur à s’impliquer davantage dans la chaîne de valeur de l’entreprise, voire même à en supplanter une partie. »

Des programmes d’impression 3D accessibles depuis le web permettent déjà de personnaliser des objets, voire même de les fabriquer soi-même sans faire appel à un intermédiaire.

 

LES JEUNES GENERATIONS RECHERCHENT UNE EXPERIENCE DIFFERENTE

Le modèle d’éducation, l’environnement et les aptitudes développées pour s’y inscrire façonnent les générations. Pour s’en convaincre il suffit de regarder la différence qui existe entre un trentenaire de 2016 et son arrière-grand-père qui vivait au début du 20ème siècle. Physiologiquement, ils sont identiques (le cerveau n’a pas évolué en si peu de temps), pourtant ils n’ont pas le même rapport à la société, pas les mêmes aspirations, pas les mêmes moteurs. Ces différences proviennent donc de leur environnement.

Quatre modèles générationnels cohabitent, chacun d’entre eux ayant pris le virage du digital à un stade de maturité technologique différent.

La génération S des seniors, composée des plus de 60 ans, a commencé par manifester une certaine méfiance à l’égard des nouvelles technologies avant de commencer à s’y intéresser et tirer parti des avantages qu’elles pouvaient apporter pour s’informer, communiquer, effectuer des démarches administratives et financières ou suivre leur santé.

La génération X, de ceux qui sont nés entre 1960 et 1980. A l’origine connue sous le nom de génération Baby Bust, en raison du faible taux de natalité post Baby Boom, elle n’a pas grandi avec les nouvelles technologies de l’information mais a appris à les utiliser sous la contrainte du monde professionnel et l’environnement social.

La génération Y, de ceux qui sont nés entre 1980 et 1995. C’est la génération des « digital natives » qui ont grandi au même rythme que s’est développé le réseau internet et l’accès aux ordinateurs.

La génération Z, de ceux qui sont nés après 1995. Cette génération a grandi avec la technologie, mais surtout avec le web social et le rythme effréné du développement du net. C’est une génération hyper  connectée en permanence

 

L’EXPERIENCE DE L’ACTIVITE PROFESSIONNELLE SE PERSONNALISE

L’emploi n’est plus garanti à vie, de même que l’employé n’est plus fidèle à vie à son entreprise. Le rapport de l’individu au monde du travail a fortement évolué, passant d’un lien fort, quasi affectif, à un lien de plus en plus utilitaire. L’analyse précédente des jeunes générations Y et Z, montre qu’elles aspirent avant tout à un métier qui les intéressent, quitte à changer d’entreprise régulièrement, voire de plus en plus à créer leur propre entreprise.

Par ailleurs, les travailleurs sont désormais en permanence connectés à leur écosystème professionnel, y compris en dehors des moments et des lieux habituels de travail, au travers des moyens de communication actuels : internet disponible (presque) partout, smartphones connectés à la messagerie, réseaux sociaux d’entreprise, applications et informations dans le cloud… Il en résulte une confusion entre les moments privés et professionnels, menant à une forme de personnalisation de la relation dans les activités professionnelles.

La dislocation du lien entre employeur et employé, combinée avec la confusion des moments privés et professionnels, remet en cause le modèle du salariat qui évolue vers davantage de flexibilité au travers des emplois à temps partiel, de l’intérim et du travail non salarié.

Cette connectivité a permis de développer le principe du home office où l’employé peut, de manière occasionnelle voire majoritaire, travailler de chez lui, achevant de confondre les deux univers. L’espace de travail en entreprise évolue également.

« Après les impersonnels open spaces, on voit émerger de nouveaux concepts comme celui du living office, où chaque espace répond à un usage dédié, à l’image de l’organisation de l’habitat particulier. »

Il ne vous viendrait pas à l’idée de non seulement manger mais aussi vous doucher ou dormir dans votre cuisine. Pourquoi donc rester dans le même bureau toute la journée pour effectuer des tâches différentes. Dormir, vivre et travailler au bureau. Pour accompagner cette flexibilité dans l’utilisation des lieux de travail, les entreprises développent de plus en plus d’espaces de partage, de sieste, de cuisine, pour le bien-être des salariés, qui rappellent voire dépassent le confort dont ils disposent à domicile.

Ces approches permettent au travailleur de personnaliser et de faire varier l’expérience de sa propre activité professionnelle, qu’il soit salarié ou pas.

 

LA CONNAISSANCE CLIENT DEVIENT UN ACTIF STRATEGIQUE

La valorisation de Airbnb (24 Md$ en 2016) s’approche de celle du leader mondial de l’hôtellerie, Hitlon (28Md$ en 2016) alors que Airbnb ne possède aucune chambre d’hôtel là où le leader en comptabilise 700 000 réparties dans près de 4300 établissements. Uber de son côté est valorisé à plus de 60 Md$ alors qu’il ne possède aucun véhicule et a même réalisé des pertes financières en 2015. Et que penser de la valorisation de Apple (plus de 530 Md$ en février 2016) rapportée à celle de son rival Samsung (370 Md$ au même moment) pour des chiffres d’affaires et des rentabilités comparables (même si celle d’Apple augmente) ?

Ces exemples montrent que la valeur de ces entreprises ne provient plus de leurs outils industriels, de leurs actifs matériels ou de leur chiffre d’affaires voire de leur rentabilité mais bien de la force de la relation qu’elles ont su installer avec leurs clients. Ces entreprises leur proposent une expérience unique et personnalisée, en rupture avec celle que proposent les poids lourds de leurs marchés, focalisés sur le produit. Le combat s’est déplacé pour voir émerger des avantages compétitifs nouveaux, et décisifs, sur le terrain de l’expérience client. Apple a su créer un univers, dans lequel le client pénètre gratuitement, à même de lui proposer tout ce dont il pourrait avoir besoin en matière de multimédias, d’outils et de communication en situation de mobilité : musique, films, séries, livres, applications mobiles, presse, messagerie etc. Les achats de ces services sont rendus faciles et coûtent unitairement assez peu cher, mais ils constituent au final un revenu confortable pour la firme : près de 20 Md$ en 2015, soit 10% du chiffre d’affaires global, et près de 30% de marge brute (Wall Street Journal 6 janvier 2016).

Bien entendu, au travers de son identifiant Apple unique pour tous ses matériels l’interaction entre le client et la marque est simplifié, et surtout tracé. Mieux, avec la contrepartie de permettre aux membres d’une famille entière de partager leurs achats virtuels sur l’App Store, Apple reconstitue l’environnement familial de ses clients, pour encore mieux le valoriser. C’est bien cette relation durable et forte qui valorise l’entreprise à un si haut niveau.

Si l’on s’intéresse à Airbnb, la valeur de l’entreprise réside dans sa capacité à mettre en relation des offreurs et des clients en encadrant une transaction souvent perçue comme à risque par les parties prenantes : fidélité de l’annonce à la réalité et qualité de l’accueil pour le voyageur, paiement et dégradation du bien pour l’hôte. L’entreprise se présente elle-même comme une « plateforme communautaire de confiance ».  Avec son système de notation réciproque par les parties, son intermédiation financière, ses assurances et son assistance 24/7, Airbnb propose une expérience client rassurante aux voyageurs et aux hôtes, chacun ne retenant que les côtés positifs de l’opération. Le voyageur obtient pour un budget maitrisé, un logement de caractère et authentique, choisi parmi une offre très large (plus de 2 000 000 de logements variés dans 34 000 villes et 191 pays selon leur site), un accueil « par l’habitant » et une relation personnalisée. L’hôte perçoit un revenu complémentaire en toute sécurité. La valorisation de l’entreprise repose sur ce réseau de 1 000 000 de voyageurs et d’hôtes, qui sont souvent les mêmes d’ailleurs, qualifiés par leurs notations et leurs profils de consommation. La promesse de Uber se rapproche de celle de Airbnb : une expérience client personnalisée et sécurisée, entre des voyageurs et des professionnels indépendants. La transparence sur les délais permise par la géolocalisation en temps réel du client et du chauffeur, les tarifs établis à l’avance, les notations réciproques et l’intermédiation financière rassurent là encore les parties sur le déroulement de la transaction, leur permettant de se concentrer sur le voyage, et ses à-côtés agréables. La valorisation de Uber est fondée sur ce réseau de clients et de chauffeurs, que l’entreprise développe désormais en élargissant l’offre à la livraison de repas, de glaces ou de colis.

 

LA DIGITALISATION DES ECHANGES MENE A L’HYPER CROISSANCE

L’augmentation de la part du digital dans la relation entre clients et offreurs permet de réduire le coût de cette interaction, d’en augmenter la vitesse et surtout d’accroître la valeur client.

Muni de son smartphone, relayé par son ordinateur ou sa tablette, le client est en interaction permanente, partout et sur tous les canaux avec des acteurs économiques. Il s’informe sur les réseaux sociaux, sur les sites d’informations, sur les sites Internet des marchands, sur des comparateurs et via des objets connectés. Par ses actions, il fournit, parfois à son insu, des données précieuses sur son comportement, ses centres d’intérêts, son entourage, son patrimoine et ses habitudes.

« Celui qui dispose de ces informations peut générer du revenu par la simple vente des données qu’il a acquises sur une personne à un opérateur qui saura l’exploiter pour en tirer de la valeur complémentaire. »

Les technologies de profilage, s’appuyant de plus en plus sur l’Intelligence Artificielle face aux quantités immenses de données à traiter, autorisent de nouveaux types de relations, hyper personnalisées voire uniques. Elles offrent l’opportunité de choisir le niveau d’investissement adéquat en promotion ou marketing direct auprès d’un prospect, d’augmenter le taux de conversion des prospects en clients, et enfin de maximiser le revenu généré par un client en lui proposant des produits ou des services plus susceptibles de l’intéresser. C’est le cas de la conciergerie de luxe John Paul qui s’appuie sur les informations qu’elle collecte sur son client, pour lui proposer un service unique et toujours pertinent : elle appelle le client par son nom, anticipe les services dont il a besoin ou lui propose des attentions particulières qui lui donnent le sentiment d’une relation unique. Mais John Paul ne s’arrête pas là, elle commercialise auprès d’entreprises ou d’annonceurs les informations de profil des clients de la conciergerie.

 

LES LOIS DOIVENT ENCADRER L’UTILISATION DES DONNEES PERSONNELLES

Les plus grands collecteurs d’informations personnelles sont actuellement Google et Facebook. Google traite plus de 62% des recherches sur Internet dans le monde, et même 92% en France. Ces requêtes constituent une source majeure de connaissance des centres d’intérêts des internautes qui, marqués par un cookie, deviennent des individus dont on peut suivre le parcours sur des semaines, voire des années. Google va encore plus loin en analysant également les correspondances électroniques des utilisateurs de sa messagerie Gmail (près de 900 millions de comptes annoncés en mai 2015 à la Google I/O, 1 milliard en 2016) pour parfaire sa connaissance de leurs profils. Facebook, quant à lui, est le lieu d’exposition de la vie semi-privée de plus de 1,6 milliard d’individus (source Wikipedia), constituant là encore un capital extrêmement riche. En plus de savoir ce qui intéresse chaque individu identifié par son compte, Facebook détient des informations sur les relations entre les individus. Ce n’est donc pas un hasard si ces deux entreprises sont actuellement parmi les 10 plus grosses capitalisations boursières du monde (1er Alphabet/Google pour 490 Md$ et 6ème Facebook pour plus de 300 Md$ – avril 2016).

Face à une telle concentration d’informations très précises sur tant d’individus, les associations de défense de la vie privée comme l’Electronic Frontier Foundation (EFF), mais aussi les états dont la Commission Européenne très active, se penchent sur les dangers et les risques que représentent de telles positions. Et les actions sont de plus en plus nombreuses sur deux terrains : les abus de positions dominantes et le non respect des réglementations quant au respect de la vie privée, le droit à l’oubli ou encore la propriété intellectuelle. Si le premier se situe dans le domaine des affaires, le second est plus sur le plan sociétal, voire de la souveraineté nationale. En effet Google et Facebook, sociétés américaines, sont soumises au Patriot Act et doivent à ce titre donner accès aux informations qu’elles détiennent aux agences de renseignement américaines.

Ces tendances fortes, et plutôt anciennes, de recherche de personnalisation sont très largement intégrées dans les stratégies marketing et commerciales BtoC. Succédant à la période de l’hyper choix qui a débutée dans les années 1970, la période de l’hyper personnalisation va-t-elle bouleverser les relations entre entreprises, comme elle a déjà transformé la relation entre offreurs et clients individuels ?