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Faut-il craindre le retour de l’inflation ?

Le renchérissement des matières premières pourrait faire redouter une poussée inflationniste incontrôlable qui sonnerait la fin des politiques budgétaires et monétaires accommodantes. Mais les banques centrales tiennent bon, et continuent à soutenir l’économie. Jusqu’où ? Jusqu’à quand ?

La France déconfinée a repris le chemin des magasins. Les carnets de commandes des entreprises se regarnissent, l’économie tourne à plein régime. A ce rythme, le trou d’air qu’à connu la croissance en 2020 devrait être effacé en fin d’année.

Mais déjà, des signes d’emballement apparaissent. Les matières premières flambent et les problèmes d’approvisionnement se multiplient. Le taux d’inflation s’accélère. En août il a atteint 3% dans la zone euro, son niveau le plus élevé depuis dix ans, tandis qu’aux États-Unis il s’est stabilisé à 5,3%, au plus haut depuis 2008.

La fenêtre de tir va-t-elle se refermer pour les entreprises hexagonales ? Pas si sûr.

Les prix augmentent, les signes avant-coureurs de pénurie commencent d’apparaitre

Après le choc du Covid, voici le choc des matières premières. Pétrole, semi-conducteurs, bois de construction, pâte à papier, minerais, métaux ou denrées agricoles, polymères, carton d’emballage, fonte ou ciment : la remontée brutale de la demande mondiale au premier semestre a fait exploser les prix sur tous les marchés.

Difficile d’échapper aux pénuries, des secteurs entiers sont mis à rude épreuve. Dans le bâtiment, la demande est tellement forte en bois, acier, PVC, mousses ou plâtre que les fournisseurs peinent à produire. Dans l’industrie automobile, les pénuries de semi-conducteurs, de métaux et de plastiques ont conduit à l’arrêt de chaînes de montage.

Goulots d’étranglements et pénurie de conteneurs

Ces problèmes d’approvisionnement s’expliquent en partie par les gigantesques plans de relance lancés par la Chine et des Etats-Unis après la crise. Dès le début de l’année, les deux puissances ont réagi en se jetant dans une course de vitesse pour accaparer les stocks mondiaux, alors que les pays d’Europe tardaient à se mettre d’accord sur un plan de relance à l’échelle du continent.

Et ce n’est qu’en août que la France a reçu la première manne de 5,1 milliards d’euros sur un total de 39,4 milliards pour surmonter les effets de la pandémie. Des mois précieux qui auront manqué aux enseignes tricolores.

Parallèlement, la pénurie de conteneurs a plombé la reprise des échanges. Aujourd’hui, le prix d’un conteneurs de 40 pieds entre l’Asie et le nord de l’Europe avoisine les 15 000 dollars, contre 2 000 dollars en novembre 2020 !  Des goulots d’étranglement se sont formés dans des ports saturés, comme à Long Island, aux Etats-Unis, ou à Rotterdam, aux Pays-Bas, causant parfois des retards de livraison de plusieurs semaines.

Les entreprises font le dos rond et absorbent le choc

Dans un tel contexte, le risque est que la surchauffe des matières premières se transmette aux biens de consommation, ce qui pourrait compromettre la reprise.

La situation est dans les mains des entreprises, prises en tenaille entre l’obligation de rembourser la dette du “quoi qu’il en coûte » et le stress d’approvisionnement. Vont-elles rogner sur leurs marges, ou au contraire répercuter les hausses de prix sur leurs clients ?

Il est certes difficile d’absorber tout à la fois les surcoûts liés aux denrées, au transport, à l’énergie, à l’emballage. Début septembre, Michel Edouard Leclerc n’avait pas de mots assez forts contre ses fournisseurs, accusés de profiter de la crise pour gonfler leurs prix de vente de 10 à 15%.

Mais dans l’ensemble, les dirigeants tricolores font le dos rond. D’après une enquête réalisée par le Crédit Mutuel Nord Europe, 59 % des petites et moyennes entreprises françaises, notamment dans le BTP, ont choisi de ne pas répercuter la hausse du prix des matières premières de manière à rester compétitives.

Rien ne montre par ailleurs que les grandes entreprises se comportent comme les majors de l’agro-alimentaire américaines Coca-Cola, Unilever ou Procter & Gamble, qui n’ont pas hésité à jouer de leur «pricing power» pour imposer leur loi au marché.

Les banques centrales gardent le cap et continuent à soutenir l’économie

L’inflation peut être positive lorsqu’elle est maîtrisée. Et, bien que certains économistes orthodoxes s’en inquiètent, la situation actuelle n’est aucunement comparable à la «Grande Inflation» incontrôlable des années soixante-dix.

Preuve en est que les banques centrales, qui ont le pouvoir de réguler l’inflation, décident au contraire de maintenir leurs politiques accommodantes. En effet, ni la BCE, ni la Fed aux États-Unis n’envisagent un arrêt anticipé des mesures de soutien budgétaire et monétaire liées à la pandémie. En Europe, les rachats d’actifs, bien que ralentis, devraient se poursuivre jusqu’au printemps 2022.

Ainsi, la situation actuelle ne doit pas être vue uniquement sous l’angle de la hausse des prix. Pour les dirigeants, l’élaboration des budgets 2022 devra tenir compte de ces politiques budgétaires et monétaires qui impactent les marchés et fluidifient l’économie. Pour la première fois depuis bien longtemps, les processus budgétaires des entreprises seront sous influence des communications des banques centrales et des incidences des financements publiques pris en tenaille entre inflation et effondrement de la dette.

Ce mois de septembre ne marque donc pas la fin de l’effet crise COVID avec le retour à une activité digne de 2019, mais bien le début d’une nouvelle ère où les décisions des décideurs tant publiques que privés n’ont jamais été aussi interdépendantes.