Bengs Lab

Quelle contribution des holdings aux dynamiques d'innovation des groupes ?

1 Repensez le rôle de la maison mère dans l’innovation du groupe

Mutualiser les ressources et actifs dans un monde ou la vitesse d’exécution devient critique

La recherche d’une gouvernance agile et aidante pour fédérer les initiatives tout en gérant les nouveaux risques de propriété intellectuelle

La promotion de pratiques d’excellence au sein des BU et des filiales est un point important partagé par les membres du lab et doit passer par la mutualisation. C’est un axe d’amélioration pour tous car les clients sont souvent multi-locaux et recherchent le même niveau de service quel que soit le pays ou la filiale. Le manque de mutualisation des compétences au sein du groupe est le frein principal à ce mouvement. La tendance en matière d’infrastructures d’innovation est la recherche d’une gouvernance agile et aidante pour fédérer les initiatives tout en gérant les nouveaux risques de propriété intellectuelle.

 

CAPITALISER SUR LES EXPERTISES ET PROCEDURES EXISTANTES

Les groupes ont capitalisé avec le temps sur de fortes expertises, parfois très pointues, dont la productivité est supérieure au marché : conseil juridique, fiscalité, fusions et acquisitions, analyse prospective, achats, etc..

« Ces savoir-faire sont mis à la disposition des business units par la maison mère si le sourcing au niveau de la maison mère est plus aisé et si le « prix » des services centraux reste compétitif dans la durée. »

De plus, sans recours à la mutualisation, un risque de dépréciation du savoir-faire serait dû aux cycles d’activité que connait l’entreprise (ex. un savoir-faire de fusion et acquisition peut exceller pendant les années de cycle haut de fusions acquisitions que connait l’entreprise et ne plus se « nourrir » et perdre en expertise pendant les années de cycle bas). En revanche, la disponibilité en temps réel de ces expertises n’est pas garantie compte tenu de leur mutualisation pour différents clients internes. Dans le cas de l’innovation, les entités sont très gourmandes en expertises de pointe et exigent un time to market, d’où la vraie question de leur autonomisation pour des marchés très peu prédictifs (effectifs dédiés aux business units et / ou sous-traitance en local).

 

DETOURAGE D’ACTIVITES EN RUPTURE : LES COMMANDOS DE L’INNOVATION

La maison mère peut s’apercevoir de la difficulté d’une entité à prendre conscience de l’évolution de son marché et l’obliger à détourer une équipe dédiée à l’exploration d’un segment en émergence. Les règles de performance et exigence de résultat ne doivent pas être les mêmes dans ce cas de figure. Un détourage d’activités est alors nécessaire et une « démutualisation » profitable. Le staffing des expertises fonctionnelles et projet nécessaires au bon fonctionnement de cette nouvelle entité peut être décidé à cette occasion. L’apport de transversalité par la veille et les études de benchmarks permet de créer le mouvement. Par exemple à l’époque des CD roms, les entreprises spécialisées sur ce marché de la musique qui apportaient des innovations « uniquement verticales » (à savoir avoir de meilleurs CD : plus résistants, de meilleure qualité, avec des durées d’enregistrement plus longues, etc.) passaient complètement à côté de la véritable innovation qui s’opéraient à l’époque : l’évolution vers la mise à disposition et le partage de la musique.

Le modèle d’innovation de Procter & Gamble est un bon exemple de détourage d’activité couplé à une démarche d’ouverture.

 

QUELLES INFRASTRUCTURES POUR L’INNOVATION ?

L’infrastructure en matière d’innovation relève de 3 catégories : industrielle, informatique et sociale. Elle a pour point commun d’apporter une capacité à expérimenter pour accompagner les pré-industrialisations et mises sur le marché de produits ou services.

L’infrastructure industrielle correspond aux petites séries de prototypage (telles que celles développées très tôt par les centres R&D de Michelin) dédiées à l’innovation et que l’impression 3D devrait bouleverser dans les années à venir avec une fabrication à des fins de production qui pourra prendre le relais des prototypages.

L’infrastructure informatique doit être repensée pour répondre aux défis du Big Data et du digital que sont la rapidité, l’ouverture, la performance économique, la fiabilité et la sécurité. Un des apports récents les plus structurants est très certainement la notion de data lake. L’idée générale est de pouvoir fournir un stockage global des informations présentes dans l’entreprise. Il s’agit de le faire avec suffisamment de flexibilité pour interagir avec les données, qu’elles soient brutes ou très raffinées. L’une des clés de cette flexibilité est l’absence de schéma strict imposé aux flux entrants. Cette faculté permet d’insérer toutes les données, quelles que soient leur nature et leur origine. Au-delà du stockage, l’un des enjeux du data lake est de pouvoir très facilement traiter et transformer l’information afin d’accélérer les cycles d’innovation, et ainsi être un support aux différentes initiatives sur la donnée.

L’infrastructure sociale, quant à elle, s’inscrit dans une démarche claire : favoriser la rencontre et l’échange entre personnes, intérêts et compétences, qui n’ont pas forcément vocation à se croiser. De ce point de vue, ces lieux participent à favoriser l’innovation et renforcer la cohésion sociale. La convivialité, l’entraide et le partage sont les maîtres-mots de ces espaces ouverts, qui sont devenus, en quelques années, les moteurs d’expériences d’une économie collaborative. Les espaces partagés regroupent les tiers-lieux, fablab, medialab, infolab, livinglab, makerspace, hackerspace. Ces lieux peuvent créer des synergies mais aussi soulever des questions de protection de la donnée et de propriété intellectuelle comme vu précédemment.

Ces infrastructures peuvent être définies par la maison mère sur la base d’une part d’une collecte des attentes et besoins des business units et filiales et d’autres part des risques légaux et réglementaires, contraintes d’organisation et de traitement de la donnée (ouverture des données réglementaires, protection des données personnelles, …). La gouvernance et le cadrage des infrastructures au sens large sont donc souvent clés pour garantir leur bon fonctionnement.

 

CENTRALISER LA PROPRIETE INTELLECTUELLE POUR MIEUX PROMOUVOIR L’INNOVATION

La centralisation des processus de gestion de la propriété intellectuelle (dépôt, délivrance, opposition, attaque / défense en contrefaçon) et des actifs de propriété intellectuelle (sous forme de système de licencing de brevets, marques et modèles intra-groupe) permet de renforcer l’action de mutualisation puis la promotion des initiatives innovantes des business units et filiales.

« La politique de propriété intellectuelle déclinée au niveau du groupe est donc le plus souvent considérée comme un booster d’innovation permettant de capitaliser sur les actifs du groupe »

ou « patent pool » dans leur version ouverte sur des partenaires et ainsi abaisser la courbe d’expérience en interne ou valoriser le savoir-faire du groupe à l’externe.

Au total, le rôle de la maison mère est de défendre et valoriser le savoir-faire innovant des entités dans un contexte d’optimisation des coûts (brevet unique européen) et de montée des risques (propriété et libre circulation des données en Europe, sujets de contrefaçon liés à l’impression 3D,…).

La stratégie de Technicolor est très fortement axée sur la valorisation de son patrimoine de propriété intellectuelle géré au niveau de la maison mère.

 

CAS D’ÉTUDE : CONNECT & DEVELOP, LE MODÈLE D’INNOVATION DE PROCTER & GAMBLE

En 2000, le groupe mondial Procter & Gamble rate plusieurs lancements de produits, ses objectifs financiers ne sont pas atteints, son CEO est licencié, la société est en crise. Le nouveau CEO de P&G, A.G. Lafley, analyse le problème et constate que la R&D du groupe n’est plus capable d’innover suffisamment vite et avec des produits suffisamment innovants pour soutenir la croissance continue du groupe.

Il décide alors de totalement transformer P&G : il impose que 50 % des nouveaux produits devront être développés avec l’extérieur.

C’est l’organisation « Connect & Develop », qui met en place des partenariats avec tous les acteurs innovants du marché, du laboratoire d’université à la start-up. La transformation est une réussite totale ! Procter & Gamble lance ainsi en 2004 les chips Pringles Prints (une histoire différente sur chaque chips), développées par un professeur italien, propriétaire d’une pâtisserie industrielle, et rachetée par P&G. L’article paru dans la Harvard Business Review en mars 2006, intitulé « Connect and Develop : Inside Procter & Gamble’s New Model for Innovation », reste aujourd’hui une référence.

Tous les groupes dans le monde se demandent comment permettre à une innovation d’éclore et de se développer, sans qu’elle soit tuée ou freinée par la pression des chiffres et du business quotidien. La seule manière est en fait, pour chaque innovation de rupture, de créer une unité d’exploration sortie de l’organisation habituelle. C’est par exemple de cette manière que Nespresso a été créé chez Nestlé par cette culture de l’innovation et du regard à 360°.

 

CAS D’ÉTUDE : TECHNICOLOR

Technicolor s’est désengagé de l’électronique grand public, pour devenir un acteur clef du secteur « Media & Entertainment » en développant des recherches dans les technologies et expériences vidéo et audio de nouvelle génération.

Le groupe est ainsi devenu un fournisseur majeur de services de pointe en matière d’effets spéciaux, d’animation et de post-production pour le cinéma, la télévision et l’industrie des médias. Il se place également parmi les leaders mondiaux de services de distribution de contenu numérique et de produits d’accès pour la maison, comme les décodeurs et les passerelles résidentielles.

La stratégie de développement du groupe est très clairement centrée sur la valorisation de son portefeuille de brevets. Technicolor possède un portefeuille de plus de 40 000 brevets, composé de 6 000 familles. L’objectif est très clairement de « créer de nouveaux actifs de propriété intellectuelle pertinents et monétisables pour le secteur Media & Entertainment ». De fait l’activité de licensing est au cœur de la stratégie.